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Exprimer Pour Rester En Vie !

3 mai 2012

Mon libraire est parti

J’allais au « Liseur », voir « mon » libraire comme je vais chez une vieille copine. Je ne connais ni son prénom, ni rien de sa vie. Il était du genre discret. 

Il a guidé mes lectures pendant deux ans, mais il ne le sait pas. Je passais devant chez lui au minimum 2 fois par jour. Sa boutique était très modeste, rien que des livres, un peu partout éparpillés. Lorsque j’avais envie de lire quelque chose, j’y rentrais. Il venait vers moi, sans être trop près. Et je lui disais :

« J’ai envie de quelque chose de… », il ajoutait tout de suite :

- « Dîtes-moi ».

« Je voudrais un roman de femme. Une femme douce, tranquille, authentique… »

- « Dîtes-moi plus »

« Euh… une femme sympathique et libre. Oui, libre c’est important pour moi qu’elle soit libre. Je voudrais un roman, un roman bien écrit, enfin je veux dire, finement écrit… »

- « OK, lisez ça. Vous verrez c’est superbe ».

Il ne se trompait jamais. Ca tombait juste, tout le temps.

Un jour je lui ai fait lire quelque chose, j’avais un trac ! Il a beaucoup aimé, j’étais flattée !

Il souriait toujours avec des yeux plissés, des yeux généreux, encore enfantins. J’aimais bien le voir sourire.

J’y suis allée avec les enfants une fois, il leur a mis « Gare au gorille » sur son ordinateur, en attendant que je me ballade parmi les nouveautés littéraires. Les enfants s’en souviennent encore.

Une fois il a dit à ma fille : « ah, tu sais, moi je savais déjà lire à 5 ans ! Pas parce que j’étais bon à l’école hein… pas du tout ! Mais parce que mes frères lisaient, eux, et moi j’étais tellement jaloux que j’ai appris ! »

Je suis partie en vacances. J’avais envie d’aller le voir en rentrant. Envie d’un livre drôle, léger, coloré. Je suis descendue de chez moi un matin avec la perspective délicieuse d’aller boire un café et d’aller voir « mon » libraire. Je n’ai d’abord pas reconnu la vitrine… puis j’ai vu des cartons, au milieu de la boutique.

Deux femmes étaient là, elles passaient le balai. Dans l’après-midi, une vulgaire enseigne était posée à la place de l’ancienne : « Ethan Shoes ». J’ai vu des chaussures bon marché, des pinces à cheveux, des tee-shirts, des casquettes… Le lendemain, mes enfants m’ont demandé :

« Maman, il est où le monsieur qui nous faisait écouter de la musique sur son ordinateur ? »

- « Je ne sais pas. Je suis triste qu’il soit parti. C’est la vie… »

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2 mai 2012

Mon premier mai

Mon 1er mai à moi se passait à Sevran, en Seine Saint Denis.

Deux jours avant, tous les cocos du coin s'y mettaient, comme tous les ans, on préparait le muguet. Il fallait tout acheter en gros, à Rungis et faire des bruns, des fleurs en pot, des compositions...

La veille, tout le monde se réunissait dans les jardins des pavillons allentours pour œuvrer et renflouer quelque peu les caisses du parti.

C'était l'occasion d'être ensemble, de rire, de débattre...

On accueillait souvent les derniers adhérant ce jour-là, pour qu'ils se sentent intégrés et qu'ils participent aussi. Ils arrivaient timidement, mais ils étaient vite à l'aise, on était une vingtaine. Moi j'étais petite fille, je les regardais s'agiter et je voyais mon père rire, fumer, se détendre. Je passais de bras en bras, j’étais heureuse d’être dans ce monde d’adultes.

Je me souviens de certains personnages comme si c'était hier : Marcel, un vieux monsieur qui avait connu la guerre, il me fascinait. "Il a connu des choses très difficiles Marcel, tu sais. C'était un résistant, un sacré résistant".

Il y avait Momo aussi, un jeune type, qui habitait Sevran Beaudottes. Il nous apportait toujours le thé à la menthe et les pâtisseries maison que sa maman lui préparait pour venir nous voir. Mon père le taquinait parce que Momo l'appelait toujours "Monsieur Guy"... "Arrête Momo ! Je suis pas ton patron, je suis ton pote !". Tout le monde l'aimait bien, Momo et je voyais mon père lui parler longuement, sérieusement, sévèrement. C’était une alternance habituelle que j’observais sans vraiment en saisir le fond. Je les voyais rire, tous, et puis d’un coup, un petit groupe, un tête à tête se détachait de l’atmosphère générale. Je voyais qu’ils parlaient sérieusement ceux-là, ils s’énervaient un peu parfois même !

Il y avait curieusement toujours du soleil en cette veille de 1er mai dans le jardin de notre pavillon.

À la fin de la journée nous étions fins prêts à la vente du lendemain.

Le 1er mai… Certains allaient vendre le muguet, d’autres allaient manifester. Moi j'étais heureuse parce que j'irai sur le stand et je tiendrai la caisse avec Jacqueline, la dame qui me donnait toujours des bonbons en me racontant comment c'était la résistance.

À un moment, elle se laissait aller les yeux dans le vide et elle me disait : "Ah tu sais ma petite, il faut toujours se méfier de ces idées noires. On croit qu'elles disparaissent et puis, en douce, sournoises, elles reviennent..." Quelques secondes de silence plus tard, elle me regardait avec un sourire tendre, me caressait le visage et ajoutait : "le prochain client c'est toi qui rends la monnaie, toute seule, d'accord ?"

Comme ils sont loin, les 1er mai de mon enfance…

 


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